I usually write my blog posts in English, but this week I wanted to share a very personal story that I happened to write en français. It's about my music career and how it led me down a difficult but beautiful path of awakening. I'd like to thank everyone who graciously offered to give me their grammatical and personal feedback on this story: Marie-Claude, Lucien, Jeannine, Gwénaëlle, Nevena, Clarisse et Yvon.
C'est quoi au juste, le succès?
À peine sortie des bras de Morphée, encore
désincarnée entre deux mondes, il m’a murmuré d’un ton ferme : « Il
est temps de quitter le confort d’Edmonton pour aller faire carrière en chanson
à Montréal. » À cette époque, je lui obéissais religieusement, puisque
j’étais encore incapable de distinguer sa voix de la mienne. Motivée par ses
promesses de succès, d’aventure et de reconnaissance, j’ai fait mes bagages la
gorge serrée, puis j’ai quitté le nid familial sans regarder en arrière.
Comme un bon gérant qui voyait clairement
les escaliers à franchir pour arriver au sommet, il me poussait impitoyablement. Cela n’a pas été facile à Montréal. La solitude, le doute et la pauvreté s’accrochaient
à moi comme des parasites importuns. Lorsque je rentrais à trois heures du
matin – épuisée d’avoir chanté dans les bars enfumés pour quelques minables dollars
– il m’assurait que mes efforts seraient bientôt récompensés de façon
exponentielle.
Je voulais juste me sentir bien, être en
paix, heureuse, quoi ! Il me fredonnait toujours le même refrain :
« Ton
bonheur s’en vient, il approche à grands pas !
Bientôt,
LA bonne personne te découvrira.
Fais connaître
tes chansons à travers des concours.
Persévère
et le succès viendra bien un jour. »
J’étais peut-être encore trop jeune pour
remettre en question sa définition du succès, surtout qu’elle semblait être
universellement acceptée : « Le fait d’obtenir une audience nombreuse
et favorable, d’être connue du public. » J’étais si naïve que je le
prenais pour ma bonne conscience. Lorsqu’il me promettait que le succès et la
reconnaissance assureraient mon bien-être, je le croyais. J’ai donc persévéré à
travers les orages.
Le beau temps est enfin arrivé au printemps
2003. J’ai gagné le gros lot : premier prix d’un concours international de
chanson francophone à Paris. Soudainement, j’étais devenue quelqu’un. Cette sensation de soulagement profond, de fierté et
d’accomplissement était fantasmagorique ! Dommage que mon extase n’ait duré que le
temps d’une soirée bien arrosée au champagne. Dès le lendemain, ma nouvelle valeur perçue attirait les producteurs
de disques comme la lumière attire les moustiques. Ce qui piquait ma curiosité,
c’était par quels moyens ils prévoyaient me convertir en profit. Bien
consciente de leur jeu, j’ai gardé mon sang-froid.
Cette semaine-là, à Paris, j’étais
complètement misérable. Déstabilisée par mes émotions extrêmes, j’étais incapable
de dormir, sans appétit et totalement désorientée. Je n’ai même pas eu la
chance d’aller visiter ma copine, la grande Eiffel. « C’est cela, le
succès ? » me suis-je demandé, en attendant en vain une réponse. C’est
à ce moment là que j’ai commencé à douter de tout. Cette voix qui me flagellait
en me promettant simultanément la gloire et le bonheur, était-ce vraiment ma
conscience, ma bonne fée marraine ? J’avais suivi ses conseils à la lettre. Pourquoi, alors, ce
« succès » tant attendu me causait-il autant de tourments ?
Horrifiée à l’idée d’avoir aveuglément obéi à ce dictateur dans ma tête pendant
tant d’années, je l’ai confronté : « Qui es-tu ? » Démasqué,
il devint muet. Étais-je en train de devenir folle ?
De retour à Montréal, le précieux trophée
Charles-Trenet que j’avais délicatement
emballé dans ma valise était en morceaux
- tout comme moi. L’anxiété devint ma nouvelle coloc. Elle me suivait partout
et me tombait véritablement sur les nerfs ! Malgré tout, je peux remercier
ma névrose de m’avoir incitée à faire un grand voyage intérieur. Ironiquement,
c’est elle qui a fait germer en moi les premiers semis de lucidité et de sagacité. J’ai tout questionné. Qui était le tyran dans ma tête ?
Moi, j’étais qui au juste ? C’était quoi, le bonheur ? Et le succès,
lui ?
Je me suis perdue dans des livres qui m’ont
révélé des secrets bouleversants. J’ai constaté à quel point j’avais vécu comme
une somnambule enivrée par un état d’ignorance totale. Le tyran radotait
encore, mais maintenant, je voyais son jeu. Machiavélique, il tentait de me
séduire avec tout ce qui m’éloignerait d'un bien-être authentique et durable. Ma crédulité s'étant muée en discernement, je pouvais enfin entendre et observer cet imposteur sans devoir lui
obéir comme un pantin. Peu à peu, j’ai réussi à baisser le volume de sa cacophonie
d’insécurités et d’indignations incessantes. Comme le silence me soulageait !
Quelques mois après cet éveil brutal,
j’étais encore troublée, tiraillée entre mes ambitions artistiques et
spirituelles. J'étais encore sous l’emprise de mes vieux
programmes et conditionnements de somnambule, cependant une force à la fois puissante et
familière émergeait en moi. Suite à ce feu qui avait ravagé mes vieilles
croyances, mon jardin intérieur était redevenu riche et fertile. Beaucoup de
fleurs y ont poussé. L’inspiration coulait abondamment et donnait vie à des
chansons infusées d’amour, de lumière et de liberté.
J’ignore exactement comment, mais je
sentais avec certitude que j’allais être invitée à chanter dans plusieurs pays.
Je n’étais plus poussée par la peur et le manque de l’imposteur, mais plutôt motivée par l’envie de partager mon nouveau bouquet de fleurs musicales. C’est peut-être cette nouvelle attitude confiante de laisser-aller
qui a fait en sorte que ma prémonition s’est manifestée presque miraculeusement.
Sans même leur en faire la demande, ce sont les ambassades canadiennes à
l’étranger qui m’ont organisé une tournée internationale à faire mourir d’envie
les artistes émergeants comme moi !
C’était complètement irréel ! Un rêve
devenu réalité ! Un soir après l’autre, je me retrouvais sur la scène, en tête-à-tête intime avec un élégant piano à queue revêtu d'un smoking. J'invitais des centaines de spectateurs à entrer en résonance avec moi dans mon univers de mélodies éthérées. J’ignorais qu’il y avait autant de passionnés de la langue de
Molière dans des pays comme la Chine, les Philippines, l’Arabie Saoudite, le Koweït,
les Emirats Arabes Unis, la Jordanie, le
Viêt Nam et même la Syrie.
C’était en 2004, et j’avais l’impression
d’avoir été insérée subitement dans la vie de quelqu’un d’autre. Je suis passée
de l’anonymat total au Québec à la gloire soudaine à l’étranger : des fans
hystériques, des bouquets floraux, des entrevues à la radio et à la
télévision, des hôtels cinq étoiles, des chauffeurs privés et des invitations
aux réceptions des différents ambassadeurs du Canada. C’était comme si cette
tournée avait été conçue et manufacturée pour quelqu’un – la variable X –
qui allait temporairement jouer le rôle de « Star » à
l’international. Curieusement, c’est moi qui ai obtenu le rôle ! C’était
hallucinant !
Etre quelqu’un offrait certainement de nombreux bénéfices
et avantages, mais la sonnerie imminente du dernier coup de minuit me hantait. Je
savais bien que le retour à la réalité serait difficile, presque cruel, suite à
cette tournée idyllique. Je ne m’attendais pas à ce que la transition de mon carrosse enchanté au métro de Montréal
soit particulièrement agréable. Toutefois, ce qui me terrifiait le plus,
c’était la réalisation que j’étais au summum de ma carrière musicale, et que
dans seulement trois mois, j’allais devoir tout laisser tomber pour devenir…
maman ! Mon prince était à mes côtés, mais cette tournure d’événements
n’était pas prévue dans notre conte de fée. L’avenir était très incertain dans
notre royaume.
Nourri par mon inquiétude grandissante, le
tyran que j’avais temporairement réussi à taire s’est remis à crier :
« Pas question d’abandonner ta carrière maintenant ! » Bébé
grandissait en moi, tout comme mon amertume, ma résitance et ma peur. Du haut de mon apogée, j’ai perdu l’équilibre puis
sombré dans les ténèbres du désespoir. Pendant des mois, je ne comprenais pas
du tout ce qui m’arrivait. Ma seule certitude, c’était que je n’avais plus le
contrôle sur ma vie. J’ai vraiment été mise à l’épreuve. Allais-je succomber
aux désirs égoïstes du redoutable tyran, ou serais-je capable d’entendre la
voix de ma sagesse intérieure ?
Éventuellement, la lumière a chassé l’obscurité. Peu à peu, j’ai lâché prise. J’ai laissé tomber toutes mes
idées préconçues, j’ai fait le deuil de ma carrière, je me suis donné la
permission d’être personne, juste une
maman. La maternité m’a arraché tous mes masques. Dénudée, j’ai laissé s’envoler
le passé et toutes ces ambitions futures qui me rendaient profondément anxieuse. J'ai abandonné mon navire chaviré pour enfin me laisser emporter par le courant -sans veste de sauvetage. Il ne me restait que l’instant présent.
A ma grande surprise, j’ai découvert une
paix intérieure et une joie de vivre absolument délicieuses ! Je pouvais faire confiance à cette force de vie bienveillante qui me protégeait et me guidait. J’avais tant
d’amour pour mon adorable princesse que je n’avais plus le moindre désir
de rechercher l’approbation des autres à travers des spectacles. Cette idée du
succès me semblait tellement vide et superficielle dans mon nouvel état de quiétude amoureuse. Enfin, après de nombreuses années, j’ai finalement appris la leçon qui
m’était destinée : le véritable succès se mesure par notre niveau de joie et de
paix intérieure.
Aujourd’hui, je suis de retour à Edmonton.
Le prince et moi vivons une vie paisible et joyeuse avec nos deux beaux enfants.
J’espère pouvoir leur apprendre à reconnaître et à dompter leur tyran intérieur,
parce que oui, nous en avons tous un ! Si on l’écoute, on peut tomber dans
ses pièges de malheur. On peut passer notre vie à essayer d’être quelqu’un qui est supposément plus honorable, plus influent. On risque alors de chasser le succès aveuglément et de
rechercher le bonheur à l’extérieur de soi. En réalité, nous sommes déjà ce que
nous recherchons désespérément. Le trésor se trouve à l’intérieur et il est
accessible à tous ici et maintenant.